UNE HISTOIRE VRAIE
ADAPTEE POUR LA SCENE A PARTIR DE L’OEUVRE DE JACQUES CHESSEX
A Payerne, petit bourg de Suisse, un petit groupe «de chômeurs, d’aigris, de paysans déçus, d’appauvris, de gueulards impuissants et convulsifs» attend avec impatience l’invasion du IIIe Reich. Ces membres du Mouvement National Suisse ont à leur tête Fernand Ischi, un garagiste de petite taille («exactement la taille d’Adolf Hitler», se vante-t-il) qui se voit déjà gauleiter (préfet) d’une province romande annexée. Endoctrinée par Philippe Lugrin, un pasteur proche de la Légation nazie à Berne, l’escouade fasciste terrorise les familles juives du coin en tirant à balles réelles sur leur maison. Mais rapidement, il leur en faut davantage, un coup retentissant, susceptible de réveiller les masses amorphes. Décision est prise d’assassiner un Juif, «sans tarder, un Juif bien représentatif, bien coupable de crasseuse juiverie et le liquider avec éclat.» Cette cible «pour l’exemple», ce sera Arthur Bloch, un sexagénaire, marchand de bétail qui se rend régulièrement à la foire de Payerne. Pour eux, Arthur Bloch représente le «Juif engraissé à nous voler avec ses banques, ses prêts sur gages, ses trafics de bœufs et de chevaux qu’il revend à notre armée.» Il sera le Juif sacrifié en l’honneur d’Hitler pour son 53e anniversaire.
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Le matin du fameux 16 avril 1942, Arthur Bloch est attiré dans une étable. Ses tortionnaires l’assomment, l’abattent avec un revolver, puis le découpent comme une vulgaire carcasse animale. Jacques Chessex décrit avec une froide précision l’assassinat d’Arthur Bloch, l’horreur du dépeçage du cadavre dont les morceaux sont entassés dans des «boilles» à lait, immergées dans les eaux du lac de Neuchâtel. Ayant laissé de nombreuses traces de leur forfait, les criminels seront démasqués en quelques jours, jugés et condamnés à de lourdes peines de prison. |
Le 20 février 1943, Fernand Ischi, Robert Marmier et Fritz Joss sont condamnés à la prison à vie par le Tribunal de Payerne. Le pasteur Lugrin sera arrêté en Allemagne en 1945, condamné à vingt ans de réclusion. Ils en purgeront à peine les deux tiers. En 1964, Chessex croise Lugrin à une table d’un café. Il s’assied en face de lui. «Je le referais!» lance Lugrin, rageur. Dans les années 70, Chessex croise Fernand Ischi, misérable pompiste à la station-service de son frère. Celui-ci le reconnaît, lui lance: «Il n’y a pas de benzine ici!» Longtemps après, l’écrivain qui était un enfant lorsque des funestes faits se réveille en pleine nuit, rêvant comme avant qu’il demande à ses parents où est l’homme coupé en morceaux, s’il va revenir. Mais Arthur Bloch erre pour l’éternité. |