LA PIÈCE

Un Juif pour l’exemple se caractérise par une écriture chirurgicale, impitoyable et puissante, une écriture au bistouri qui fait éclater de manière impressionnante la rage et le dégoût de l’auteur face aux silences imposés par la bonne conscience collective. Ce texte qui déterre une réalité historique peu ragoûtante provoque un profond malaise dans la région concernée. Les autorités et la population locales ont toujours tenté d’occulter ce meurtre sordide qui impliqua des gars du coin, attitude qui en dit long sur l’acceptation passive des actes antisémites, à Payerne comme ailleurs en Suisse. Le roman, de Jacques Chessex au-delà du fait divers qu’il relate, donne à prendre conscience que ce genre d’acte atroce peut se produire n’importe où et n’importe quand, fondé sur n’importe quel principe, dans n’importe quel cadre extrémiste. Et les récents évènements en France nous le démontrent. En cela, et à cette époque, la population de la Broye vaudoise n’est ni pire ni meilleure que celle d’une autre région, de Suisse ou d’ailleurs.

La grande force de ce texte est finalement de constituer une piqûre de rappel de portée universelle sur le danger des thèses fascisantes, extrêmes, à connotation politique ou religieuse, qui, s’insinuant dans les esprits, peuvent conduire les plus faibles ou les plus fanatisés à commettre l’indicible. Au-delà de ce récit, s’inscrivent dans nos mémoires, comme dans nos actes de vie, le rejet de tout appel à la haine de l’autre, de la stigmatisation de la race, de la religion ou de la pensée, des crimes délibérément commis au nom d’une idéologie. Cette histoire est une histoire terriblement actuelle

Ainsi, nous n’avons pas voulu recherche pour ce spectacle un quelconque idéal artistique. Il y a ici une vérité à proclamer. Ce spectacle est avant tout un cri d’alarme, un rappel de l’histoire, de cette histoire que, disait le sage, on est obligé de revivre tant qu’on en n’a pas tiré les leçons.

Oui, en Suisse, un acte d’une sauvagerie, d’une cruauté, d’une stupidité incompréhensible a eu lieu. Oui, au pays de la Croix-Rouge, au pays de l’accueil et de la sérénité alpine où s’annoncent les brillants réveils, des hommes se sont réunis pour en assassiner un autre au nom d’une idéologie brunâtre.

Cette histoire est assez sordide et écœurante en soi et peut-être nous suffirait-il de la narrer.

Mais nous sommes au théâtre. Dès lors, cette histoire prend une dimension autre. Raconter cette histoire tel quelle, ne peut qu’entraîner une réaction émotionnelle, voire viscérale, épidermique de la part du public. Nous, nous voulons plus. Nous voulons que le public prenne position, qu’il décide en son âme et conscience. Mais pour cela, il lui faut prendre connaissance des éléments de l’histoire, des faits, des mobiles et des buts recherchés. Il lui faut comprendre ce qui a amené ces hommes à devenir des tueurs. Et il doit en prendre connaissance par le biais d’un narrateur qui soit à la fois le garant de l’objectivité des éléments qui ont conduit à cet acte et à la fois le porte-parole d’une société qui ne peut accepter en son sein ce comportement barbare.

C’est pourquoi, nous avons défini un narrateur spécifique. Inspiré par le roman de Chessex, notre création placera le public au sein d’un tribunal. Il assistera à la fin d’un procès, celui qui fut intenté contre les meurtries de Payerne. Seul, face à lui, se dressera le Procureur, lui qui en tant que représentant et défenseur de la loi, c’est à dire de l’État, c’est à dire de la Société, c’est à dire des valeurs qui permettent aux femmes et aux hommes de cette Société de vivre ensemble, cet homme donc, ce Procureur, au nom de tous, va reprendre les éléments du drame, sa chronologie et demandera à chaque personne présente qu’en son âme et conscience, elle prenne position, qu’elle condamne les meurtriers. Ou non.

Alors, faut-il une forme théâtrale, dramaturgique, scénique à ce projet ? Oui. Celle qui permettra au spectateur, non pas d’être ému ou choqué, mais surtout de prendre conscience que plus de cinquante ans après, « il est encore fécond le ventre de la bête immonde » et qu’on ne peut pas se contenter d’en prendre note.

Mise en scène
JEU
EXTRAIT VIDEO